Hybridation du travail : l’enjeu majeur vers un nouvel équilibre

Dans un précédent article publié par Ellipsia, nous avons partagé les quelques leçons à retenir des différentes phases successives de confinements et déconfinements pour bien accompagner le retour des collaborateurs sur site. Depuis le 9 juin, les contraintes liées au travail présentiel se sont assouplies permettant à chaque entreprise (en concertation avec les représentants des salariés) de déterminer le nombre de jours de télétravail pour ses employés.

Cette première étape vers une nouvelle normalité met en exergue l’enjeu de maitriser un assemblement de situations variées dépendant des rotations de présence des collaborateurs, de leurs horaires de travail mais aussi de leur(s) lieu(x) de travail (bureau, domicile, tiers-lieu, déplacement…). Ce concept d’hybridation du travail, qui a permis de maintenir une continuité d’activité durant la crise sanitaire, doit maintenant être adapté afin de transformer ce qui était jusqu’alors une contrainte en atout permettant de redynamiser et développer les activités des entreprises.

Dans ce nouveau point de vue, nous allons nous intéresser aux principaux éléments à prendre en compte dans le cadre de cette réflexion :

  • Comment embarquer les collaborateurs dans la définition de ce nouvel équilibre ?
  • Quels sont les éléments importants à prendre en compte pour pérenniser l’hybridation du travail au sein de l’entreprise ?
  • Comment adapter la communication afin d’adresser les enjeux liés à l’impact sur les employés ?
 

 

Accompagner l’évolution du travail à toutes les échelles pour faire émerger une nouvelle harmonie

Avec l’assouplissement des règles liées à l’application du télétravail, le besoin de retrouver une « normalité réconfortante » est grand. Après le traumatisme qu’a pu représenter la période que nous venons de traverser, la tentation est grande de choisir la solution de facilité et de ne pas saisir l’opportunité d’une évolution en profondeur des modalités de travail. En effet, au vu des problématiques souvent complexes, cette évolution peut paraitre de prime abord insurmontable si l’on y ajoute les multiples échelles à prendre en compte (individuelles, d’équipes projets, de fonctions ou d’entités).

Si d’évidence les principaux sujets liés à l’évolution du travail gravitent autour de la garantie de conditions sanitaires et des moyens pour maintenir la performance du travail collectif malgré la distance, il est aussi nécessaire d’adresser le défi de l’adaptation des modèles managériaux, de gouvernance et de qualité de vie au travail et de ce qui représente le socle commun de l’entreprise.

Ainsi, viennent s’ajouter aux moyens concrets (de logistique) que sont l’évolution des solutions technologiques, des processus et de l’offre de bureaux les sujets suivants :

Agilité des modes de fonctionnement :

  • Ajustement des processus mis en tension par l’hybridation comme la prise de décision, la comitologie, la gestion de projets, le recrutement…,
  • Gestion du temps de travail incluant les besoins de flexibilité et de droit à la déconnexion,
  • Promotion du travail collectif transverse pour éviter l’effet silo,

Evolution des pratiques managériales :

  • Animation du collectif au travers de l’évolution des relations entre les managers, leurs équipes (lien collectif) et chacun de leurs collaborateurs (liens individuels) afin de prévenir les éventuelles situations d’isolement,
  • Accompagnement des collaborateurs vers plus d’autonomie,
  • Adaptation des méthodologies d’évaluation de la performance,
  • Maintien du lien social et du sentiment d’appartenance à l’entreprise :
  • Conservation de l’implication du collaborateur, de sa motivation et du sens donné à son activité au sein de l’entreprise,
  • Communication interne et institutionnelle.

L’ensemble de ces sujets doit faire l’objet de discussions entre les différentes parties impactées à savoir : la Direction, les collaborateurs et leurs représentants. Ceci afin d’aboutir à un accord d’entreprise représentant un cadre général commun équilibré qui définit clairement et régit les grandes thématiques communes (Définition du télétravail et des lieux autorisés, les conditions d’éligibilité, la fréquence et les jours autorisés…). Afin d’adresser aussi certaines fonctions spécifiques, l’accord d’entreprise doit permettre le cadrage des exceptions et adaptations possibles.

Ainsi, nous pouvons imaginer des règles de délégations spécifiques aux managers opérationnels afin de leur permettre d’adapter les conditions d’accès au télétravail, la fréquence et les modalités de ce dernier aux contraintes opérationnelles de leurs équipes.

Afin que cet accord cadre puisse s’inscrire dans la durée et évoluer avec l’actualité, les besoins et les contraintes de l’entreprise, il est nécessaire d’adopter une démarche d’adaptation et d’amélioration continue du contenu de ce dernier en le révisant à minima une fois par an.

Dans l’actualité

Début juin 2021, la société Hewlett Packard France a signé un accord de télétravail représentant une proposition vers un nouvel équilibre hybride entre vie professionnelle et vie personnelle du collaborateur et le renforcement de l’attractivité, de la résilience et de l’engagement social de l’entreprise.

A ce titre, la stratégie retenue dresse les contours des règles et conditions d’application devant permettre :

Un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle grâce notamment à une plus grande autonomie accordée aux collaborateurs,

  • L’amélioration de la qualité de vie au travail en réduisant par exemple les déplacements et donc la fatigue et le stress pouvant y être associés,
  • L’adaptation des réponses possibles à des situations spécifiques des salariés,
  • Le renforcement de l’attractivité de l’entreprise pour recruter de nouveaux salariés et fidéliser ceux déjà présents,
  • Une meilleure anticipation des futures situations exceptionnelles qui entraineraient, à l’image de la crise actuelle, des risques sur la continuité d’activité de l’entreprise,
  • La contribution de l’entreprise à la transition écologique grâce notamment à la limitation des déplacements et donc des émissions de CO2.

 

Identifier et mettre en place les éléments constitutifs du nouvel équilibre présentiel / distanciel

L’obligation d’adopter le télétravail, dans le cadre du plan de sécurité sanitaire, a conduit les entreprises à adapter la nécessité du travail présentiel à son minimum possible. Pour certaines d’entre-elles, cela a conduit à l’adoption massive de plans généralisés d’activité partielle. Pour d’autres (principalement des entreprises technologiques), cela s’est traduit par la fermeture pendant plusieurs mois de leurs locaux et la mise en place du télétravail intégral.

Alors qu’initialement ces initiatives ont été considérées par beaucoup comme inspirantes, force est de constater qu’aujourd’hui certaines d’entre-elles font machine arrière. Pourquoi ce revirement ?

Probablement parce que le travail à distance ne semble pas répondre à certains besoins notamment sociaux et d’appartenance moteurs de la bonne marche de l’entreprise comme : la collaboration présentielle, les relations managériales formelles et les échanges informels ou de convivialité. Ces derniers sont rendus laborieux, si ce n’est impossible, par l’absence d’interaction physique.

Il peut donc s’avérer frustrant, voire insuffisant, de tisser un lien social à distance car cela rend complexe la captation fine du champs émotionnel et d’énergie des interlocuteurs que permet la proximité physique via notamment le langage corporel/non-verbal.

A titre d’exemples, nous pouvons citer les situations suivantes dégradées par la distance comme :

  • Les relations entre les managers et leurs collaborateurs rendues inconfortables notamment lors d’entretiens d’évaluation ou de recadrage, l’accueil de nouveaux collaborateurs étant donné la nature personnelle et la charge émotionnelle que ces exercices revêtent,
  • Les contacts spontanés (notamment pour la demande d’aide) qui s’avèrent plus efficaces en se rendant en personne dans un bureau qu’au travers d’un mail ou un coup de téléphone
  • Les liens sociaux entre salariés et les échanges autour de ce qui relève de l’intime,
  • Les évènements de convivialité qui n’ont manifestement ni la même saveur ni le même effet sur la cohésion et le moral des troupes.

L’ensemble de ces points d’échanges et de partage trouvent toute leur puissance et leur portée à travers la proximité physique qui permet de développer et d’entretenir un lien profond de confiance entre les personnes.

Quelques retours d’expérience

Il y a quelques années, dans le cadre d’un important projet à l’échelle de déploiement de service au niveau national, nous avons passés plusieurs mois en lien téléphonique avec les personnes qui en géraient la déclinaison au plan régional.

Jusqu’aux réunions de lancement local du nouveau service, nous n’avions jamais eu l’occasion de les rencontrer physiquement. A partir du moment où nous avons pu échanger avec elles en proximité physique, nous avons constaté que nos relations ont pris une toute autre dimension en terme de complicité et de fluidité des échanges.

A de nombreuses reprises, nous avons pu recueillir des témoignages de personnes qui travaillaient en France avec des centres de service en Inde ou dans d’autres pays dits offshore.

Tous ont été unanimes pour dire que ces modèles ne fonctionnaient efficacement que si l’on investit dans la rencontre physique des membres de ces équipes étendues au moins deux fois par an afin de créer puis entretenir ce lien.

 Ainsi, à ce jour, aucun système de visio aussi sophistiqué soit-il n’est encore capable de remplacer la vraie rencontre, le fait de se voir dans les yeux, partager le même espace, respirer le même air…

 

Ainsi, l’avenir du télétravail est dans la définition du bon équilibre entre nécessité de se rendre au bureau et capacité de réalisation d’activités à distance. Le juste niveau d’hybridation ne relève pas de règles immuables. Il apparaît donc important de considérer les besoins de l’organisation selon 2 angles principaux :

  • Le cadre général qui s’applique à tous les salariés,
  • Les nécessaires adaptations pour coller aux réalités des équipes et des métiers de l’entreprise.

Il est donc nécessaire que chaque entreprise se questionne, à la lumière de ses particularités, sur les éléments composant cette nouvelle harmonie pour être en mesure de mettre en place l’organisation qui permet de tirer le meilleur des deux modalités :

  • Quelles activités peuvent avantageusement se dérouler dans le seing privé du domicile ou d’un tiers lieu,
  • Quelles sont celles qui gagnent à être vécues ensemble dans le même espace-temps ?

Bien poser le cadre général suppose d’avoir consulté les parties prenantes. Ceci est d’autant plus pertinent que quasiment chaque organisation dispose, suite à la crise sanitaire, d’un terreau d’enseignements quant aux usages possibles, souhaitables ou à proscrire du travail à distance.

 

Adopter une démarche pertinente pour concrétiser la dynamique d’hybridation

Concevoir et mettre en place les nouveaux modes de fonctionnement associés à l’hybridation du travail nécessite de mettre à contribution les collaborateurs de l’organisation dans une démarche itérative et pragmatique à l’initiative de la Direction.

Etablir le cadre général évoqué précédemment suppose d’avoir préalablement défini les objectifs et les résultats attendus par la démarche menant à l’équilibre d’hybridation (équilibre de vie des salariés, responsabilité sociale, stratégie de recrutement ou de rétention…). Cette visée stratégique initiale est ainsi alimentée d’interviews d’un panel représentatif parmi les différents métiers de l’entreprise permettant d’identifier des groupes avec des comportements communs et des besoins similaires vis-à-vis du travail à distance.

Une fois ce panorama obtenu, la seconde étape consiste à consulter des représentants des différents groupes pour affiner la compréhension des besoins et contraintes afin de construire des solutions adaptées en termes de processus, d’organisation et d’outillage. Les résultats de cette étape viennent alors nourrir d’éventuelles adaptations du cadre général pour qu’il corresponde davantage aux réalités terrain.

Une fois les cibles identifiées pour chacun des groupes de collaborateurs, des représentants des différents groupes au sein des équipes concernées sont mobilisés pour décliner et éprouver les solutions sur le terrain. Il s’agit donc, dans cette phase, de prendre le pouls de l’organisation, de répondre aux questions, de recueillir ressentis et préconisations afin d’adapter et d’enrichir les réponses apportées pour chacune des réalités présentes au sein de l’organisation.

En parallèle, le déploiement des principes de fonctionnement et des outils cibles est réalisé au travers d’expérimentations itératives permettant d’adapter, compléter et valider les solutions in situ. Enfin, afin d’assurer le bon déroulement de la généralisation, il est important de l’accompagner au travers d’une communication, un support et d’éventuelles formations aux nouveaux modes de fonctionnement. Idéalement, ces accompagnements sont réalisés par les représentants des différents groupes ayant travaillés au design initial des solutions.

Communiquer différemment et au juste niveau pour entretenir la dynamique

La bonne communication, qui était déjà en période de travail « habituel » un levier certain d’efficacité au sein d’une organisation, représente aujourd’hui dans un mode de travail « hybride » un enjeu encore plus fort. Comment maintenir un niveau de communication satisfaisant au sein des équipes naturelles, des projets transverses, des lignes managériales ? Et ce quelle que soit la modalité de travail, présentielle ou distancielle, à l’instant « t » afin d’éviter de donner raison au diction « les absents ont toujours tort », ou « loin des yeux, loin du cœur » …

En effet, il faut désormais faire évoluer les modes de fonctionnement et adopter de nouveaux réflexes pour conserver la valeur ajoutée des rencontres aussi bien formelles qu’informelles ou impromptues, notamment les temps :

  • Juste avant ou après une réunion en physique qui permettent une « autre » rencontre,
  • D’échanges d’informations au détour d’un couloir ou d’une pause-café,
  • D’entraide et de créativité.

De ce fait il s’agit alors collectivement de s’interroger sur :

  • Comment partager plus largement avec le collectif concerné (équipe, groupe projet ou ligne managériale) les informations ou idées échangées en présentiel lors de réunions ou de rencontres informelles avec les protagonistes ? En effet, une réunion d’équipe ne réunit pas toujours tous ses participants, et pour ces temps « habituels », il faut donc s’assurer que tous soient bien mis au même niveau d’information.
  • Comment ancrer le réflexe du partage de l’information ? Au-delà des principes partagés, comment évaluer ce nouveau réflexe et l’inscrire dans l’état d’esprit, la culture de l’organisation ?
  • Quels moyens mettre en œuvre pour, à un niveau global, s’assurer que « loin des yeux » devienne « près du cœur » ? Ainsi, il peut s’avérer nécessaire d’organiser régulièrement des temps dédiés à la communication transverse et entretenir le lien d’appartenance et le plaisir à se « voir », à s’entendre, à avoir des nouvelles « vivantes » ; comme partager des moments de qualité ensemble (en présentiel ou non).

Se contenter de rechercher la bonne hybridation du travail à la lumière des résultats uniquement business ferait passer à côté de l’essentiel dans la définition de l’esprit et la lettre d’une telle évolution.

La lettre, ou la face bien observée à ce stade sous le feu des projecteurs, consiste à répondre à la question : comment adapter au mieux les processus, les outils, les espaces, les modes de fonctionnement et de management ?

L’esprit, ou la face immergée, mais qu’il semble essentiel de questionner également amène à répondre à des enjeux tels que : comment dans ce nouvel équilibre recherché, ne pas perdre les fondamentaux et l’ADN de l’organisation, la qualité des liens qui unit les membres en son sein, ce dont ils sont fiers ou qui les satisfait particulièrement ?

Et comme pour tout ce qui a de l’importance, dans une Société où les personnes recherchent de plus en plus le sens (surtout après cette période particulière), comment ne pas oublier l’esprit au profit de la lettre seule ? Qui sommes-nous ? A quoi ne voulons-nous pas renoncer ? Quelle opportunité cette période nouvelle nous offre-t-elle de devenir ce que l’on veut devenir ?

Ce sont ces questionnements existentiels qui peuvent faire une vraie différence entre les organisations, et pour leurs collaborateurs. En effet, aborder la question de l’hybridation du travail en se focalisant d’abord sur l’aspect technique, les outils et la configuration des locaux revient à répondre à la question « comment » quand on n’a pas encore répondu aux questions « qui » et « quoi ».

Seule une approche centrée sur les besoins, les contraintes et les perspectives offertes par une judicieuse répartition entre distanciel et présentiel permet d’élaborer un cadre structurant et sécurisant au sein duquel déployer des solutions techniques qui permettent de tirer le meilleur parti des deux modalités et de conserver l’ADN de l’organisation. Les gains en termes d’efficacité et de qualité de vie des collaborateurs sont alors pérennisés dans le temps grâce à une démarche itérative qui questionne régulièrement les besoins et les solutions d’hybridation proposées.

Auteurs :

  • Karine Guibert, Coach et formatrice
  • Wissem Taleb, dirigeant et fondateur de Ellipsia
  • Loïc Delcros, Coach et formateur, dirigeant de Vesta Team